Série photographique


Peintures digitales 





Photogrammétries  




2016-2017
🏡  Kyoto


2019, 2023
🏡  Onomichi


2023-2024
🏡  Kyojima, Tokyo






Ce qui pousse, malgré tout, malgré nous



Depuis 2016, nous développons une série de projets photographiques et installatifs autour de la notion de nature informelle dans les villes japonaises. Initié à Kyoto dans le cadre d’un séjour à la Kyoto University of the Arts, ce travail s’est poursuivi à Onomichi (2019, 2023) et dans le quartier de Kyojima à Tokyo (2022–2023).

Notre démarche procède de dérives urbaines – à pied ou à vélo – combinées à une méthode de cartographie participative. Ces protocoles nous permettent d’identifier et de documenter des situations de coexistence entre éléments végétaux et formes urbaines : plantes en pot occupant l’espace public, jardins improvisés, interstices envahis par la végétation, mais aussi bricolages domestiques mêlant objets, matériaux et vie organique. Ces formes, souvent précaires et éphémères, témoignent d’une vitalité persistante, entre contrainte et liberté.

Nous les abordons comme des « sculptures trouvées », inscrites dans une tension entre deux pôles :
  • une approche quasi-géographique, attentive à l’objectivité et à la neutralité du relevé,
  • et une approche plus subjective, sensible aux surgissements poétiques, aux illuminations profanes, à la dimension sculpturale des formes.
 
Ces dispositifs manifestent ce que nous appelons l’ensauvagement : non pas un retour à un état « sauvage », mais une dynamique de féralité – une sortie partielle des cadres normatifs de la gestion urbaine, une auto-organisation intuitive et autonome. Loin de l’image négative associée récemment au mot « ensauvagement » dans le discours politique, nous proposons d’en faire une lecture esthétique et écologique, en relation avec des valeurs comme le wabi, le sabi, le mujō ou le mono no aware, mais transposées dans le contexte contemporain des villes japonaises.

Ainsi, ces formes urbaines improvisées nous apparaissent comme une actualisation possible de certaines traditions esthétiques : à la manière des jardins secs (karesansui), elles composent des paysages miniatures, mais sans intention formelle ni codification. Elles expriment une esthétique anarchiste et vernaculaire, où le non-hiérarchique, le transitoire et l’informel dessinent une autre manière d’habiter la ville.

En ce sens, nos projets constituent un herbier urbain, voire un atlas proto-archéologique des formes de coexistence et d’auto-organisation à l’œuvre dans Kyoto, Onomichi et Kyojima. Ils révèlent comment, dans les interstices du tissu urbain, surgissent d’autres modes de présence – fragiles, précaires, mais puissants – qui mettent en tension les régimes de perception habituels entre « ordre » et « désordre », et invitent à repenser notre relation esthétique et politique aux milieux de vie.

Dans une phase plus récente, le projet s’est élargi par l’usage de la photogrammétrie et de la peinture digitale. En appliquant un outil habituellement réservé à la conservation du patrimoine architectural à ces végétaux fragiles et souvent considérés comme indésirables, nous produisons des reconstructions lacunaires dont les glitchs et interpolations rendent sensibles leur vulnérabilité autant que leur résilience. L’algorithme, incapable de saisir chaque détail d’une fleur, génère des fragments qui deviennent des gestes picturaux, échos de l’incomplétude même de ces existences précaires. En parallèle, une série de peintures prolonge ce cycle de transformations : un pot ramassé dans la rue circule du moulage en plâtre à la photographie, de l’interprétation algorithmique à la peinture numérique, puis revient au tableau physique. Ces métamorphoses inscrivent chaque sujet dans une chaîne de médiations où l’objet est continuellement rejoué, réinterprété, transfiguré.

Ce passage de la photographie à la photogrammétrie, puis à la peinture, ouvre à de nouvelles formes de documentaire. Plutôt que de viser l’exactitude ou la reproduction fidèle, il s’agit de documenter par l’incomplétude assumée (les manques deviennent eux-mêmes des indices), par les glitchs comme révélateurs des limites de la capture, et par la traduction esthétique d’un médium à l’autre. Ce documentaire élargi ne consiste plus uniquement à montrer « ce qui est », mais à explorer les conditions mêmes de visibilité de ces formes de vie fragiles. En révélant comment elles apparaissent, disparaissent et se métamorphosent dans la chaîne des représentations, le projet fait du documentaire non pas une restitution neutre, mais une pratique processuelle et transmédiatique : une manière de penser et de partager l’urbain à travers ses zones d’ombre, ses interstices et ses devenirs.



Article sur cette série
Disconoma (Thomas Vauthier et Fanny Terno),  « La rue fécale : Figures de l’informel dans l’espace japonais », publié le 17 juin 2025, Revue Turbulences, Le Carnet | 2025, en ligne, URL: lien

Projet initié et dirigé par Thomas Vauthier, rejoint par Fanny Terno dans le cadre du duo Disconoma.